Léo Caillard : l’artiste qui interroge l’histoire de l’art
Léo Caillard est un artiste photographe et sculpteur qui joue avec notre rapport au temps en mêlant différentes époques. Par un travail décalé et surprenant, l’artiste nous invite à réfléchir sur notre rôle en tant qu’être humain, sur l’impact que le passé a sur le présent, toujours avec harmonie et une touche d’ironie. Son exposition personnelle HISTORIA, qui présente plusieurs de ses séries est visible à la Teodora Galerie du 14 octobre au 23 novembre. Nous avons rencontré l’artiste accompagné par la directrice de la galerie, Hanna Ouaziz.
Dans ta série Hipsters in Stone, tu habilles des statues antiques tel des hipsters de nos jours. Cette série a beaucoup fait parler de toi et a été admirée notamment au King’s College de Londres lors de l’exposition Classical Now. D’où vient ton goût pour la culture classique ?
Dans la culture classique, les artistes étaient en même temps des grands scientifiques. L’équilibre, la technicité et les études sur le corps me passionnent énormément.
À l’époque, l’art et les sciences étaient profondément liés. Pour moi ces deux domaines dialoguent toujours entre eux. Les sciences ne sont pas antinomiques à l’art : à l’inverse, dans ma manière de procéder, elles sont complémentaires. J’ai un art très analytique, très maîtrisé, je ne suis pas un artiste pulsionnel mais je me revendique très proche de ces artistes classiques qui étaient des observateurs scientifiques.
Les sculptures que tu as sélectionnées pour cette série datent, pour la plupart, du 12ème, 16ème et 17ème siècle. Pourquoi as-tu choisi ces périodes ?
Dans l’antiquité, on retrouvait une maîtrise de l’anatomie incroyable. Pendant le moyen-âge, dans l’obscurantisme, on a tout perdu. Le niveau technique des grecs par rapport au reste du monde était extraordinaire. Il y a eu une effervescence de la pensée humaine à ce moment-là que, je pense, notre monde aurait besoin de retrouver.
Et actuellement, quelles sont tes sources d’inspirations ?
Mes inspirations sont très variées. Stephan Hopkins fait sans doute partie d’entre elles. Des philosophes comme Levinas, aussi. J’adore le sport et un sprint de Usain Bolt, par exemple, je trouve que c’est de l’art : j’étudie la perfection du mouvement. Et puis beaucoup d’autres…
Tu as une formation de photographe : tu as étudié aux GOBELINS et tu es parti ensuite pour un long voyage aux États-Unis pour peaufiner ta technique. Tu pourrais nous parler de la photo Renaissance Women 1 ? Pourquoi as-tu choisi cette pose ?
C’est un choix esthétique. De plus, dans la peinture chrétienne religieuse, le regard de la personne sacrée vers l’objectif n’était pas très bien vu. Tous les dieux sont représentés un peu de côté. C’est pour cela, d’ailleurs, que la Joconde est une œuvre qui avait choqué à l’époque. Ce fût le premier vrai portrait de quelqu’un, qui nous regarde, dans toute sa simplicité.
Tu peux nous parler du travail photographique que tu as fait avec le Louvre ?
Le mardi, quand c’est fermé, je vais au Louvre et je fais mes photos. Toute l’installation c’est de la 3D, c’est de la création, ça rassemble tout mon savoir-faire technique.
Mon idée est de faire ressortir les formes antiques, dans le cas de la photographie Louvre Joconde, les pyramides d’Égypte au milieu des tableaux de la Renaissance, est un carambolage d’époques et de styles. Il y a aussi toute une question autour de la ruine et de la dégradation par le temps. Dans cette série je me pose des questions. Il n’y a plus aucun trait technologique, il n’y a plus d’habitant, aucun traceur de la vie de notre époque, donc ça pourrait se situer dans le futur lointain, par exemple. Il y a l’idée de temps intemporel. C’est très contemplatif.
Et pourquoi t’as placé la Joconde au centre ? Qu’est-ce que cette œuvre évoque pour toi ?
Je n’avais pas le choix avec la Joconde, il fallait que ce soit centrale.
C’est un chef-d’œuvre absolu. Le premier témoignage littéral d’humanisme. C’est, d’une certaine façon, la première photographie : pour moi qui suis photographe est très intéressant, car c’est le premier tableau qui n’est pas maniériste.
Le travail du clair-obscur te caractérise toujours ?
Toujours. En tant que photographe, j’écris avec la lumière. La direction de la lumière est très importante dans la photo. J’ai toujours un choix d’éclairage qui est souvent maitrisé.
Tu peux nous parler davantage de ta série « Green stone » ?
On est au paradigme d’une société qui est en train de s’écrouler sur elle-même et si on n’arrive pas à changer de mode on va péricliter comme l’empire roman.
Dans cette série, le message est plus clair : c’est la fin de quelque chose. L’humanité n’est plus là, la nature prend la place de l’homme et la vie reprend, mais sans nous. Il se trouve qu’on disparaitra et ils resteront que de traces de notre passage, comme pour les dinosaures.
Dans Green Stone 2, je montre ce qu’il n’existe pas encore, ce qui sera un jour. J’aime bien le faux-semblant, l’illusion.
Dans la photo Green Stone 1, j’ai choisi la Vénus de Milo. Je l’ai mis de dos car de face elle est trop iconique. Le spectateur se retrouve observateur d’une absence. En regardant cette photo, on se demande ce qu’on fait là, il y a comme une impossibilité dans cette scène. Et j’aime bien le fait que la statue reste.
C’est ce qui reste de l’homme.
Exactement. La statue c’est la dernière réminiscence de la forme humaine.
Plus d’informations sur l’artiste sur son Site Internet
Propos recueillis par Violagemma Migliorini
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